Beijing 2008 vs London 2012
Par Étienne, mercredi 19 mars 2008 :: graphisme :: #971 :: rss
Beijing 2008 vs London 2012
La Chine étant tristement à l’honneur en ce moment, voici un texte écrit pour Magazine n° 41 en septembre 2007
Si on se promène actuellement dans les rues de Pékin, on ne peut pas ignorer les immenses panneaux lumineux affichant le décompte des mois, des jours, des heures, des minutes et des secondes avant l’ouverture des Jeux Olympiques dans cette ville.
Quand on se présente à la douane de l’aéroport de Pékin, une fois les formalités effectuées, on doit s’exprimer sur la prestation du douanier en appuyant sur un des deux boutons, l’un vert pour dire sa satisfaction, l’autre rouge pour son mécontentement. Les chauffeurs de taxi pékinois doivent prendre des cours d’anglais, de nombreux panneaux dans la ville expliquent quelques règles de savoir-vivre occidentales… Je ne parle bien sûr pas des pressions politiques sur les journalistes et autres dissidents, les « pauvres » envoyés au-delà du sixième périphérique de la ville… Une pression énorme est donc imposée à cette ville et à ses habitants pour « réussir » cet événement si symbolique pour la Chine en ce début de siècle. Au même moment, la polémique concernant le design du logo des Jeux olympiques de Londres de 2012 m’est parvenue, même en Chine ; l’occasion de comparer ces deux logos.
London 2012
Ce nom, London 2012, sonne comme le titre d’un excellent film de science-fiction de John Carpenter Los Angeles 2013 (en anglais Escape from L.A), mais cela n’a visiblement (et heureusement) rien à voir – ceux qui ont vu le film comprendront.
Un logo seul ne veut rien dire, c’est son utilisation qui lui donne du sens : sur la papeterie, les médailles, l'habillage vidéo… Nous verrons bien si ce logo arrive à survivre et à se développer dans le temps. Premières impressions : on ne lit pas « 2012 », et cette forme assez agressive me fait davantage penser au logo d’un groupe de Hard Rock de la fin des années quatre-vingt qu’a celui de la plus grande compétition sportive au monde. En même temps la devise des JO : «Citius, altius, fortius » (plus vite, plus haut, plus fort) correspond assez bien aux groupes de Hard Rock! Nous pourrions aussi voir dans les couleurs et ces formes, un clin d’œil à la célèbre pochette de Never mind the Bollocks des Sex Pistols, conçue par le graphiste britannique Jamie Reid en 1977. Nous pouvons aussi penser à la couverture de l’album A different kind of tension des Buzzcocks en 1979.
Mais à part, peut-être une consommation excessive de différentes substances prohibées, je ne vois pas trop de rapport entre Punk et Jeux olympiques. En poussant un peu plus loin (voire trop) dans le temps, on peut même dire que ce logo à des ressemblances malheureuses avec la croix en forme de Svastika ou des symboles SS (structure agressive, la symétrie des deux 2 pouvant faire penser à des S, surtout si on passe ce logo en noir et blanc).
Enfin, nous pouvons donc remarquer que ce n’est pas la ville ou le sport qui sont mis en avant, mais l’année 2012. Ces formes représentent visiblement les infrastructures (les stades…) que va devoir construire la ville de Londres pour accueillir les Jeux, donc les bâtiments en non plus des hommes. Il n’a rien d’humain et London 2012 représente plutôt le logo d’un prometteur immobilier que celui d’un grand événement sportif. Nous n’aborderons pas le prix facturé pour sa conception (400 000 £) ni la formation graphique et visuelle des décideurs permettant de laisser passer un logo de cette piètre qualité.
Dans un pays qui a vu Alan Flechter, Vince Frost, David Hillman, Muir Hamish, Peter Saville, ou Neville Brody (pour ne citer que les très vieux;-), il est étonnant qu’on ne soit pas capable de proposer une identité visuelle digne de ce nom. Nous aurons peut-être droit à une réaction des designers anglais, identique à leurs collègues allemands. Ces derniers, outrés par la médiocrité du logo choisi pour la dernière coupe du monde de football en 2006, avaient organisé un concours entre eux et proposés gratuitement de nouveaux logos. Malheureusement, les organisateurs ont préféré garder la première version.
Beijng 2008
Retournons en Chine pour commenter et comparer le logo chinois. Nous pouvons voir très rapidement une accumulation de signes, les traditionnels cinq cercles des jeux olympiques (les cinq continents), une calligraphie de « style chinois », mais utilisant des caractères romains et une forme humaine visiblement en train de courir ou de danser.
Cette forme humaine est en fait basée sur le dessin du caractère chinois signifiant Beijing (Bei pour Nord et Jing pour Capitale) en caractère chinois. Rappelons que les caractères chinois viennent généralement de dessins figuratifs, chaque caractère chinois représente un objet ou un concept unique. Ainsi, un Chinois ne lisant pas notre alphabet romain, va tout de même reconnaître le mot Beijing dans ce logo, et nous, occidentaux, ne déchiffrant pas les caractères chinois, allons aussi pouvoir lire Beijing grâce à l’utilisation de l’écriture manuscrite en bas du logo. Ces deux formes (l’homme dansant et les caractères romains) signifient donc la même chose, mais utilisent deux systèmes d'écriture radicalement différents. Nous avons donc l’affirmation d’une culture et de son système d'écriture (les caractères chinois), sans exclure les autres cultures (symbolisées par les caractères romains que l’on pourrait qualifier d’écriture d'internationale).
Les pictos de Beijing, utilisant la même logique que le logo.
Cette logique s’étend même aux mascottes, exercice obligé de ce genre de manifestation, il faut bien vendre des sacs et des tee-shirts! En plus de représenter les différents éléments (la mer, la forêt, le feu, la terre et le ciel), les noms des cinq mascottes (Beibei, Jingjing, Huanhuan, Yingying et Nini,) sont aussi signifiants, car lorsque vous mettez ces cinq noms ensemble dans le bon ordre cela donne : Bei Jing Huan Ying Ni, ce qui veut dire « Bienvenue à Beijing » en chinois. Avec ce système du logo, des pictogrammes et des mascottes, il existe donc toujours deux niveaux de lecture. Un premier très simple et direct, nous voyons de petits hommes en train de faire du sport et de petites mascottes amusantes ; et un deuxième niveau permettant de commencer à comprendre l’origine des caractères chinois et de mieux appréhender une autre culture.
Pour conclure, ce paradoxe : nous avons donc curieusement un logo « dur » dans un pays avec un régime politique « soft » et à l'inverse nous avons un logo « soft » et intelligent dans un pays au contraire très dur politiquement (Chine : la plus grande prison du monde pour les journalistes et les internautes, d'après Reporters sans frontières et je n’ose parler du Tibet...).
quelques liens complémentaires :
http://fr.beijing2008.cn/
http://www.london2012.com/joinin/create/
Ce site permet aux internautes de proposer leurs propres logos. Est-ce un aveu d’échec ou un semblant de démocratie participative graphique, justement très en vogue sur le net avec le fameux web 2.0?
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