Le journal Libération tente par tous les moyens de se renouveler, (encore) une nouvelle maquette papier et une nouvelle formule sur le web (payante en partie). Je vous conseille le billet de Benoît Drouillat à ce sujet. 

Si nous observons la version Web de Libération datant de 1999 (merci à Kevin pour cette trouvaille) nous pouvons remarquer qu’en terme de design, lisibilité et structuration de l’information (colonne sur fond noir pour la navigation, puis fond blanc sur 3 colonnes pour les infos, noir et rouge...), cette version est beaucoup mieux adaptée que la version actuelle (voir les captures d’écran plus bas). Malgré dix ans d'évolution cette antique version est beaucoup plus pertinente et agréable pour le lecteur (ce qui est tout de même essentiel pour un journal s’adressant à des lecteurs). 

le site Web de Libération en 1999 



le site Web de Libération en 2009 



Je trouve cela pathétique et triste, aucune amélioration n’a été faite en dix ans, et même au contraire. Les sites d’informations actuels comme celui de Libération ou même pire (pour le design) celui du Monde sont totalement noyés sous de la publicité clignotante (qui rapporte beaucoup moins que sur papier à nombre de lecteurs équivalents) et sont devenus presque illisibles (incohérence de la grille, nombreux messages se parasitant dans une même page, information pertinente occupant au mieux que 25 % de la surface de l’écran...).

Il faut par contre noter, que les versions iPhone de Libération et celle du Monde sont plutôt très bien, simples et lisibles pour un usage adapté à la lecture rapide, même si je commence à me lasser de lire et relire les mêmes dépêches AFP plus ou moins réécrites. Si un jour l’AFP décide de sortir une application grand public lisible sur PC et sur téléphone, cela va faire très mal pour tous ces sites de presse en ligne (sauf Rue89 par exemple qui n’est pas abonné à l’AFP et cela se voit dans le choix de ses sujets beaucoup plus originaux et pertinents que ces autres sites généralistes). 

Conclusion, les contraintes techniques (en 1999 sur le Web et actuellement sur un iPhone on peut retrouver un peu les mêmes contraintes : petite taille d'écran et connexion bas débit) vont non pas détériorer l'expérience de lecture, mais au contraire l’améliorer. Avec des contraintes fortes, des décisions radicales s’imposent (pas de photos, jeu sur la typo en deux couleurs, simplicité de la maquette...) permettant donc d'éviter les compromis (on rajoute des images, des liens, des fonctionnalités, de la technologie... sans aucune cohérence) toujours dommageables pour la lecture et le lecteur. 

--> un article de Peter Gabor concernant la nouvelle version payante du site de Libération (surtout avec ce pdf interactif qui m'intrigue beaucoup).

--> une autre analyse de Gabriel Jorby.

ps : une remarque par rapport au journaliste. 

Très récemment lors d’un colloque concernant la communication dans le domaine de la mode et des parfums, je me suis aperçu après une journée de discussions et de conférences (philosophe, sociologue, technicien, designers...) que pas une fois le nom de « journaliste » n'avait été prononcé. On vous parle de Google, de recherche prédictive, d’analyse des tendances, de FaceBook, de Twitter, de marketing virale, des blogs, et même du bouche à oreille... mais jamais des journalistes (même si dans la mode nous sommes très loin du journalisme d'investigation ;-).

Actuellement dans les campagnes de communications (pour la mode et le cosmétique) les journalistes ne rentrent visiblement plus trop dans la boucle. Il existe en effet une grande méfiance dans ce que peuvent dire les journalistes et le poids d’un blogueur (euse) influent est aussi important qu’un magazine (où les annonceurs ont un poids financier énorme).
Bref les lecteurs sont devenus très méfiants envers les journalistes (surtout dans le monde de la mode, car je pense qu’il faut nuancer dans les autre domaines). Il faut aussi rajouter une méfiance des blogueurs et autres communicants compulsifs utilisant les nouvelles technologies envers les journalistes « papiers », méfiance due au mépris que ces mêmes journalistes ont pu porter envers ces « journalistes amateurs » il y a quelques années. C’est exactement le même schéma que l’on retrouve entre la télé et les jeux vidéos. Il existe visiblement un réflexe corporatif conservateur consistant à dénigrer de suite une nouvelle pratique ou technologie pouvant modifier l’ordre établi sans jamais analyser le fond des choses. Cette attitude de dénigrement systématique permet aussi de se voiler la face en évitant de se poser les vraies questions (comme peuvent actuellement le faire la presse en ligne et les diffuseurs de musique). 
La télé versus jeu vidéo, journaliste versus blogueur (les dernières déclarations de Denis Olivennes sont éloquentes), musique versus Peer to Peer, politique versus franchement tout internet (Jean François Copé ou le grand Frédéric Lefebvre) ...

Il serait très intéressant d’analyser les réactions et les discours de défenses de chaque profession à chaque changement de paradigme et donc de rapport de pouvoir. On peut se souvenir de la révolution apportée par la PAO à la fin des années quatre-vingt dans le domaine du graphisme. Les réactions furent très violentes, avec par exemple les critiques très dures de Paul Rand ou de Massimo Vignelli envers un magazine comme Emigre travaillant avec les nouveaux outils numériques de l’époque.
Exemple d’une très méchante citation de Massimo Vignelli : « Il n’y a que deux façons de faire de la typographie, la bonne et celle d’Emigre ».