mercredi 20 décembre 2006
Un safari typographique dans ma penderie
Par Étienne, mercredi 20 décembre 2006 :: graphisme
Voici le texte de mon premier article paru dans Magazine au mois de septembre 2006 concernant les logos dans le monde de la mode.
--> l’image servant d’illustration à cet article.
Un safari typographique dans ma penderie
Par un dimanche après midi pluvieux, je me lance dans un safari typographique dans mon appartement – je suis graphiste de formation, ce qui peut expliquer certaines de mes obsessions. Un safari typographique consiste à chercher des typos, des logos ou des signes infiltrés sournoisement dans votre vie quotidienne. Je commence par ma bibliothèque : les logos Gallimard, Flammarion, Hachette, Harraps, Taschen, Phaidon, puis ma cuisine : Barilla, Panzani, Amora, Magimix, Nestlé... ; pas de grande surprise. Mais soudain, en pénétrant dans ma chambre, ma penderie toutes portes closes, me procure un étrange pressentiment. Je pense avoir découvert un vrai nid à logos, une vraie mine typographique intarissable. Entre les cintres, je croule immédiatement sous un déluge de logos, de signes de marques : Pantashop, Petit Bateau, Prada, Chanel, Yves Saint Laurent, Issey Miyake, Balenciaga, A.POC, Paul Smith... ; d’accord, j’exagère un peu. C’est ma plus grande concentration de logos au centimètre carré, ils sont partout : chemises, chaussettes, sous-vêtements, manteaux...
Si on organise ces marques-logos en tableau chronologique, on remarque immédiatement que le monde de la mode n’utilise pas d’acronymes (sauf très rares exceptions comme APC pour Atelier de Production et de Création ou A-POC pour A Piece Of Cloth), contrairement aux autres industries (EDF, GDF, SNCF, IBM...). C’est ici le nom des créateurs initiaux qui est le plus souvent employé. La marque se développe donc dès son origine autour d’une personnalité et non pas d’un service comme dans la plupart des autres industries.
A y regarder de plus près, on peut établir six
catégories formelles :
• les «classiques », qui se distinguent par l’emploi
simple d’une police de caractère liée à l’époque de sa
création : Hermès (police de caractère de la famille
des mécanes du XIXe siècle), Burberry...
• les neutres constituent la grande majorité, : le
plus souvent une police de caractère bâton (linéale)
employée en capitale : Chanel, Fendi, Balenciaga,
Céline...
• les signatures ou griffes (très années 70-80) qui
concentrent encore plus l'attention sur le créateur
d’origine et qui personnalisent le vêtement.
L’utilisation de ce type de logo pourrait être
considérée comme la signature d’une œuvre d’art :
Thierry Mugler, Paul Smith, Agnès B, Yoshi Yamamoto...
• les cyniques (ou postmodernes) : Jean-Paul Gaultier
(faux pochoir très années 80), John Galiano (avec une
typo gothique/tatouage, faussement mauvais garçon),
Vivienne Westwood (très tête couronnée) , Wendy et Jim
(reprise du logo YSL)...
• les fameux «&» ou «+» de la mode : Wendy & Jim, Paul
& Joe, Marithé et François Girbaud...
• et une dernière catégorie très surprenante, que je
nommerais les didactiques. En effet, ces logos
expliquent le concept même du vêtement qu’ils
représentent. Ils signifient une idée plutôt que la
personnalité d’un créateur, notamment pour deux
marques liées à Issey Miyake : A-POC (le logo reprend
le système de découpe lié à cette marque) et Pleats
please (logo reprenant les fameux plissés dans la
forme des lettres du logo).
Dans l’ensemble, ces logos sont presque anonymes et
sans personnalité propre. En réalité, ils essayent
d’être intemporel, sans attaches au temps présent,
contrairement aux vêtements qui sont eux, par essence,
démodés très rapidement. Même si le plus magnifique
est sans contestation possible celui d’Yves Saint
Laurent, dessiné par Cassandre en 1963 (un de nos plus
grands graphiste et affichiste français, Dubo, Dubon,
Dubonnet, c’est lui), élégance, modernité, rythme,
finesse... bref un des rares logos à avoir une vraie
personnalité. Il affiche un désir, une intention,
s’affirme et prend position, ce qui est très rare.
Pourtant, malgré cette apparente neutralité, ces logos
« fonctionnent », c’est-à-dire, qu'instantanément, on
différencie un Chanel d’un Dior ou d’un Burberry même
sur une petite étiquette pas toujours bien cousue ni
imprimée. Une des raisons essentielles de ce succès
est que le monde de la mode a eu, depuis des années,
l’intelligence de garder ses logos d’origine. A la
grande différence des autres industries, les marques
liées à l'univers de la mode conservent contre vents
(le marketing) et marées (l’arrivée de nouvelles
directions) leurs identités visuelles originales. Des
adaptations sont inévitables, généralement tous les
quinze ans, mais en gardant toujours l’esprit du logo
premier. Les grandes marques de mode sont totalement
insensibles aux modes graphiques relatives au dessin
des logos.
En effet, la tendance actuelle, imposée par les
agences de communication, privilégie les formes rondes
et molles. Pour exemple, l'année 2005 fut en France
riche en nouvelles identités médiocres, toutes
calquées sur le même modèle : SNCF, ANPE, Aéroport de
Paris, EDF... Visiblement, pour ces sociétés, il
s'agit juste d'une course contre la montre, à celle
qui changera le plus souvent de logo, en espérant que
ce changement d'image fasse croire aux actionnaires
(ou futures actionnaires comme pour EDF ou GDF) que la
société reste dynamique et pleine d’avenir. Ça
ressemble beaucoup à de la gesticulation graphique
sans aucun fondement. Il est très surprenant de
constater qu’une entreprise comme la SNCF, ayant une
fonction simple et presque immuable; nous transporter
d’un endroit à un autre par voie ferrée, change
d’identité visuelle presque tous les cinq ou dix ans.
A l’opposé, le monde de la mode, pourtant par essence soumis aux nouvelles tendances, s’accroche à ses logos, comme à un pilier, à une boussole permettant de se repérer au milieu de ce maelström de formes, de tendances, de matières et de couleurs sans cesse contradictoires d’année en année. Ces logos remplissent donc totalement leurs rôles, puisqu’ils signifient et signent la marque discrètement, permettant aux vêtements de garder leur autonomie et leur identité propres, liées à leur époque.